Abstract |
Les stratégies de lutte contre la pauvreté dans les pays en développement ont été longtemps axées sur les dimensions monétaires de celle-ci en prônant des mesures " pro-croissance " comme la voie la plus fiable et la plus crédible pour éradiquer l'extrême pauvreté. Mais compte tenu de la complexité du phénomène de pauvreté et surtout face à l'insuffisance des résultats constatée après plus de deux décennies d'efforts de financement, on a assisté, au début des années 2000, à une réorientation de l'approche de la pauvreté vers des considérations multidimensionnelles. Depuis lors, la pauvreté n'est plus appréhendée à partir seulement du revenu, mais aussi à partir d'un ensemble d'éléments relatifs aux capacités des individus, aux potentialités ainsi qu'aux opportunités à leur portée. Ce nouveau paradigme, fondé sur la notion de pauvreté des capacités, trouve une traduction opérationnelle dans la stratégie d'intervention du programme " Plateformes Multifonctionnelles " (PTFM). Ce programme est aujourd'hui implanté dans plusieurs pays d'Afrique Sub-Saharienne et soutenu par de nombreux acteurs du développement compte tenu de son rôle potentiel dans la réalisation des OMD. S'inscrivant dans une démarche de "Community Driven Development ", le concept PTFM vise à apporter un élément de réponse aux nombreuses problématiques associées à la faiblesse d'accès à l'énergie. A travers le développement de petites unités de production énergétique en milieu rural, le programme PTFM privilégie une approche fondée sur le genre, le renforcement des capacités et l'autonomisation des femmes. Bien que lancé dans les années 1990 au Mali, ce programme n'avait, jusque-là, fait l'objet d'aucune évaluation d'impact rigoureuse alors que l'exigence d'efficacité est un critère fondamental dans la sélection et le financement de programmes de développement. Partant ainsi d'une démarche d'évaluation, cette thèse vise d'abord à questionner l'efficacité du programme PTFM dans la lutte contre la pauvreté. L'impact potentiel du programme PTFM sur la pauvreté passe théoriquement par un gain de temps qui est ensuite alloué à des activités génératrices de revenus (pour les femmes) et à la formation du capital humain des enfants (santé et éducation). Evaluer la pertinence et l'efficacité d'une telle approche amène à s'interroger en amont sur la nature des comportements et les choix des individus en matière d'allocation du temps. La thèse est organisée en deux parties. Les deux premiers chapitres sont consacrés à l'estimation de l'impact du programme PTFM sur des indicateurs de l'activité économique des femmes et des indicateurs de santé et de scolarité des enfants. Compte-tenu de l'histoire de l'implantation du programme au Mali, deux approches sont utilisées, celle des entrées-échelonnées (pipeline approach) et celle de la Double-Différence. Dans chacune des approches, nous identifions deux types d'effets: l'effet espéré du programme (Intention-To-Treat Effect) et l'effet de la participation au programme (Treatment Effect on Treated). Les différentes estimations réalisées permettent de valider l'hypothèse de gain de temps lié à l'utilisation des plateformes. Nous trouvons, en effet un impact très significatif du programme sur le temps consacré par les femmes aux activités économiques. Nous pouvons également identifier un impact significatif sur la probabilité de scolarisation et le temps 7 d'apprentissage des enfants en âge scolaire. En revanche, l'impact sur les indicateurs du statut nutritionnel des enfants de moins de cinq ans n'est pas concluant du fait de l'ambiguïté du sens de la causalité de ces indicateurs avec nos différentes variables de traitement. Il apparait que ni le gain de temps tiré de l'utilisation des PTFM, ni l'accroissement potentiel de revenus des mères ne sont significativement favorables à l'état nutritionnel des enfants. Dans la seconde partie, nous prolongeons le cadre de l'évaluation pour mieux explorer les mécanismes de choix d'allocation de temps au sein des ménages. Dans le troisième chapitre, nous examinons la relation entre scolarisation et travail des enfants qui sont deux choix distincts d'allocation du temps des enfants entre formation du capital humain et main d'oeuvre pour des besoins productifs du ménage. Le chapitre vise à tester empiriquement le degré d'arbitrage entre ces deux choix compte-tenu du niveau de vie du ménage. Nos résultats montrent une corrélation très fortement négative entre les deux décisions, montrant ainsi une concurrence intrinsèque entre ces choix. S'agissant de l'influence du niveau de vie sur la demande de travail des enfants, nous trouvons que, contrairement aux activités économiques qui apparaissent très flexibles à la variation du niveau de vie du ménage, l'allocation de temps pour les travaux non-économiques est beaucoup plus rigide. Approfondissant la nature des disparités de genre dans l'accès à la scolarisation et la demande de travail des enfants, nous montrons, par une méthode de décomposition à la Oaxaca-Blinder que les disparités observées entre les filles et les garçons dans l'allocation du temps sont essentiellement dues à une préférence inobservable des parents pour la scolarisation des garçons plutôt que des filles. Dans le dernier chapitre, nous analysons les déterminants socioéconomiques de l'allocation du temps des femmes à partir d'une étude de cas. Nous trouvons que la décision des femmes de participer au marché du travail dépend très fortement du niveau d'accès aux infrastructures de base. Bien que l'hypothèse de rationalité économique dans l'allocation de temps ne soit pas rejetée (signal du taux de salaire), nous trouvons que les choix sont fortement influencés par des considérations purement sociales et culturelles. Les principaux résultats obtenus dans cette thèse accréditent l'importance des infrastructures dans la lutte contre la pauvreté. L'effet positif du programme PTFM sur les indicateurs d'activité économique des femmes et sur la scolarisation des enfants justifie la pertinence de l'initiative " PTFM " dans la lutte contre la pauvreté. Le programme PTFM est un outil de développement qui joue un rôle équivalent à celui des infrastructures. Cependant, l'impact positif du programme PTFM est subordonné à la complexité des choix d'allocation de temps dans les ménages, notamment en ce qui concerne les femmes et les enfants. Il apparaît nécessaire d'accompagner l'implantation des PTFM par des politiques éducatives plus contraignantes ou au contraire plus incitatives, afin que les gains de temps obtenus par l'accès à l'énergie mécanique puissent se traduire en des choix en faveur de la scolarisation plus importante des filles. |